La vie d'un avocat : Le palais de justice de Bruxelles deviendra-t-il un vestige architectural ?

Quand j'ai commencé le barreau en 1995, toutes les juridictions, à l'exception de la plupart des justices de paix, du tribunal de la jeunesse, du Conseil d'Etat et de ce qu'on appelait alors la Cour d'arbitrage (et qu'on appelle aujourd'hui la Cour constitutionnelle), se trouvaient au palais de justice de Bruxelles. Le palais était le lieu de rencontre du monde judiciaire. Que vous alliez plaider devant le tribunal de commerce, devant les juridictions du travail, devant le tribunal de première instance, en matière civile ou en matière pénale, que vous déposiez des conclusions aux greffes de ces juridictions, que vous examiniez un dossier répressif, vous "étiez au palais", comme on dit entre avocats.

Ce palais, dont la superficie totale est de 26.000 m² est situé place Poelaert, du nom de son architecte. Il a été construit de 1866 à 1883 et est la plus grande construction du XIXe siècle. La salle des pas-perdus, d'une longueur de 48 mètres, et d'une largeur de 22 mètres, est surplombée d'une coupole de 20 mètres de diamètre s'élevant à 97m50 du sol. Il comporte une trentaine de salles d'audience, notamment les splendides salles des audiences solennelles de la Cour de cassation et de la Cour d'appel (salle où ceux qui vont devenir avocat stagiaire prêtent serment), des greffes, des bibliothèques, …

Le Tribunal du travail et la Cour du travail de Bruxelles ont déménagé et se sont installés en face du palais dans ce qui était auparavant le ministère de la Justice. L'immeuble a été entièrement rénové et les greffes disposent d'une infrastructure moderne. Le tribunal de police et ses greffes civil et pénal se sont déplacés au 63, rue de la Régence à 150 mètres du palais. Le Tribunal de commerce s'est installé au 4, rue de la Régence, à deux pas de la place Royale et à 500 mètres du Palais, à l'exception du registre de commerce et du service des actes de sociétés installés dans la commune de Forest. Et je viens d'apprendre que le tribunal de première instance, section civile, va s'installer dans l'immeuble auparavant occupé par le Parquet, rue Quatre-Bras, à côté du palais. Resteront donc au palais uniquement la Cour de cassation, la Cour d'appel et le tribunal de première instance, sections correctionnelle et fiscale. Le palais se vide progressivement et quantité de salles d'audience, notamment au 1er étage, sont à l'abandon, comme beaucoup de parties de ce pauvre palais.

Si les employés des greffes, qui travaillent dans des bureaux modernes, se réjouissent de ces déménagements, les avocats n'apprécient guère. Imaginons un confrère qui a trois audiences, l'une devant une chambre correctionnelle du tribunal de première instance à 8h45, une autre devant le tribunal de commerce à 9h et la dernière devant une chambre pénale du tribunal de police. Notez que 8h45 ou 9h sont les heures de début d'audience. L'avocat ne connaît pas avec précision l'heure de passage de son affaire. Avant le déménagement de ces tribunaux en dehors du palais, il fallait à l'avocat une connaissance de ce labyrinthique palais et une bonne condition physique pour courir d'un tribunal à l'autre. Avec ces "décentralisations", il lui est impossible de parcourir, parfois sous la pluie et la toge sous le bras, des centaines de mètres, parfois des kilomètres, pour aller d'un tribunal à l'autre, sans même savoir quand il plaidera son affaire. Je connais plus d'un confrère qui a raté son affaire. Les avocats ont beaucoup de qualités, mais pas encore celle d'ubiquité.

Vous me direz que les avocats sont des éternels insatisfaits et vous n'auriez pas totalement tort.

La seule question que nous devons donc nous poser est : ces décentralisations assurent-t-elles un meilleur traitement des dossiers et diminuent-elles l'arriéré judiciaire ?

Manifestement non. L'arriéré judiciaire n'a pas diminué et, dans certains cas, a même fortement augmenté. Lisez à ce sujet mes deux précédents articles (ici et ici). Pourquoi ? Si je me réjouis de voir certains employés des greffes avoir de bonnes conditions de travail, je suis scandalisé par le manque de moyens humains. En clair, il n'y a pas assez d'employés de greffes et de magistrats. Et les moyens matériels ne peuvent jamais remplacer les hommes.

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