L'affaire Sanda Dia. Trop is te veel ...
Sanda Dia était étudiant universitaire. Il est mort après avoir subi des traitements dégradants dans le cadre d’une activité de baptême estudiantin. Ces dix-huit bourreaux ont été reconnus coupables d’homicide involontaire et ont été condamnés à de simples peines de travail qui ne figureront pas dans leurs casiers judiciaires. Leurs noms n’ont pas été cités dans la presse.
Dans cette affaire, chacun donne son avis, pas toujours autorisé, en une matière particulièrement complexe qu’est le droit pénal et sa pratique.
Rappelons-nous certains principes du droit pénal pour que chacun puisse mener sa propre réflexion.
Et le code pénal il dit quoi ?
D’abord il y a la loi. J’entends plusieurs élus de la Nation se dire scandalisés par cette sanction, la peine de travail, qu’ils considèrent comme trop légère en cas d’homicide involontaire. N’oublions pas que le code pénal permet au juge de sanctionner l’auteur d’un homicide involontaire par une simple peine de travail. En soi, la décision judiciaire dans l’affaire Sanda Dia est donc « légale ». Si ces élus considèrent qu’il est inadmissible de prononcer une peine de travail en cas d’homicide involontaire, rien de plus simple : il leur suffit de voter une modification du code pénal qui interdira aux juges de prononcer une telle peine en cas d’homicide involontaire. Nous verrons ce que feront ces élus dans les prochaines semaines.
La jurisprudence
Ensuite il y a les décisions judiciaires, ce qu’on appelle la jurisprudence. Des juges ont-ils déjà prononcé des peines de travail dans des affaires d’homicide involontaire ? Oui. Ce n’est pas courant mais ce n’est pas exceptionnel non plus. En janvier dernier, le tribunal correctionnel de Liège avait condamné cinq jeunes à une peine de travail pour homicide involontaire, dans le cadre, une fois encore, d’un baptême étudiant.
Certains parlent de « justice de classe », considérant que certains juges professionnels seraient cléments à l’égard de ceux qui leur ressemblent. Les juges professionnels ne sont pourtant pas les seuls à prononcer une telle peine en cas d’homicide involontaire. En décembre 2022, la Cour d’assises de Liège, composée de citoyens jurés, a condamné une personne à une peine de travail pour homicide involontaire dans le cadre d’une bagarre. Dire que les juges prononcent des peines clémentes à l’égard des prévenus de leur classe sociale me paraît infondé.
Justice de classe dans la défense ?
S’il y a une justice de classe en Belgique, je crains qu’elle soit ailleurs. Les jeunes de bonne famille, comme les personnes ayant des moyens financiers, pourront se payer les meilleurs avocats. Ces avocats pourront consacrer tout le temps nécessaire à la défense de leurs clients puisqu’ils seront payés en proportion de ce temps et de leurs talents. Ils examineront le dossier répressif dans les moindres détails, solliciteront des devoirs à décharge et y trouveront les meilleurs arguments. Ils vont « briefer » à fond leurs clients pour l’audience, en leur expliquant comment se comporter, ce qu’ils doivent dire et ne pas dire aux juges pour obtenir la clémence. Nul doute que ce fut le cas dans l’affaire Dia. En revanche, les personnes à faible revenus feront appel aux avocats qui pratiquent l’aide juridique, qui sont de bons avocats, mais qui sont sous-payés par l’Etat. En conséquence, ces avocats ne pourront jamais consacrer autant de temps aux dossiers qu’on leur confie. S’il y a une justice de classe, elle se trouve plutôt dans le cadre de la défense que dans le cadre des jugements.
Vas-y balance les noms !
Vient également la question de l’anonymat dans la presse des noms des condamnés. Les journalistes devaient-ils citer les dix-huit noms ? Il s’agit là de règles relevant de la déontologie journalistique. Et sur ce point, je n’ai jamais compris ces règles qui me paraissent très fluctuantes. Les journalistes ont des positions à géométrie variable : un coup on cite, un coup on ne cite pas. Pourquoi ? On ne sait pas trop. En ne les citant pas, certains crient au complot. En les citant, certains y auraient vu de la délation pouvant entraîner la vindicte populaire, avec des relents de justice privée. Quand on voit qu’un avocat d’un des condamnés vient d’être menacé par un écrit anonyme, on aurait pu craindre le pire à l’égard de ceux dont les noms auraient été cités. Il serait temps que la profession édicte et applique des règles claires pour tous, pour le fils du notaire comme pour le fils du réfugié politique.
Et l'université dans tout ça ?
Il serait temps aussi que les autorités universitaires interviennent fermement pour qu’il ne soit plus possible, sous couvert d’épreuves de baptêmes estudiantins perçus comme de pseudo-rites de passage débiles et d’un autre temps, d’infliger sans aucune limite (la mort est peut-être au bout du chemin), avec plaisir, parfois avec un réel sadisme, des traitements dégradants et humiliants que personne n’envisagerait d’accepter une seule seconde en dehors de ce cadre.
Sanda Dia a rejoint les étoiles. Mais les astres se sont bien alignés – peut-être trop bien - pour ces étudiants responsables de sa mort. Pas de prison, une peine de travail, pas de casier judiciaire, pas de noms dans la presse. Pas de complot non plus mais une nécessité de débattre des peines, d’interdire certaines pratiques et de préciser certaines règles applicables à tous, sans distinction.
(c) Henri LAQUAY
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