Maurice Garçon : L'Avocat et la Morale.
Voici ce qu'écrivait Maurice Garçon, membre de l'Académie française, l'un des plus célèbres avocats français du XXe siècle, dans son livre L'Avocat et la Morale, publié en 1936.
"Le véritable courage de l'avocat consiste essentiellement à dire ce qu'il juge nécessaire en dépit des critiques qu'on peut lui adresser et des inconvénients qui peuvent résulter pour lui-même. Sa personne n'est pas en jeu et il doit négliger le mécontentement que peut provoquer l'attitude qu'il a résolu d'adopter. Il faut savoir se résoudre à déplaire si ce qui déplaît paraît juste ou nécessaire à dire. Au XVIIIe siècle, l'avocat général Séguier disait : "Une noble véhémence et une sainte hardiesse font partie du ministère des avocats." Cette hardiesse, manifestation de l'indépendance, est une condition essentielle de la profession.
"La nécessité de s'élever contre un abus, de protester contre un excès, de contester une opinion, de discuter la moralité voire la probité d'une personne, si haut placée soit-elle, protégée par un faux prestige, sont des obligations de conscience dont les conséquences peuvent être contraires à l'intérêt personnel de l'avocat. Mais il faut savoir braver l'opinion et être intransigeant sur le chapitre de la vérité. C'est se respecter soi-même que de ne pas céder à la tentation de faire preuve de complaisance. L'intérêt de celui qu'on défend est seul en cause et l'avantage personnel que peuvent procurer certains ménagements doit être négligé.
"Il peut arriver que les manifestations d'indépendance amènent un certain durcissement entre la défense et le tribunal, mais une attitude de complaisance et de facilité même à l'égard des juges témoigne d'une pusillanimité qui n'est pas admissible. Lorsque l'avocat a pris son parti de soutenir une opinion ou une doctrine et qu'il a la certitude morale d'avoir raison, aucune considération d'amitié ou d'intérêt ne doit pouvoir l'en faire départir. Pour défendre une cause qu'on estime juste et qu'on a accepté de défendre, il faut savoir affronter l'opinion quitte à être victime de son honnête fermeté."
(...) "Dans un ouvrage anonyme publié en 1713 sous le titre : L'Eloge et les devoirs de la profession d'avocat, on peut lire : "S'il n'est pas séant à l'avocat de rechercher par vanité les causes éclatantes, d'éviter par mollesse les difficiles, de mépriser par orgueil les abjectes, il aurait bien tort de refuser par lâcheté celles où la grandeur et l'autorité se font craindre. Produisez donc hardiment à la face de la justice les causes les plus dénuées de protection et de crédit ; que la fermeté de votre défense fasse sentir aux juges quelle doit être l'intégrité de leur décision ; que la force de vos discours supplée à la faiblesse du crédit de vos clients, sans que la dignité des puissances vous éblouisse, ni leur fortune vous corrompe, ni leur faste vous intimide, ni leurs caresses vous amollissent, ni leur crédit vous décourage. Que la présence de ces adversaires redoutables, qui, souvent, ont plus de pouvoir sur les autres que sur eux-mêmes, assure votre constance au lieu de l'ébranler".
"Le courage moral, témoignage d'indépendance, affirme le caractère de l'avocat, assure son autorité et rend sa défense efficace. Il l'oppose à l'arbitraire, le met souvent, surtout en matière politique, en conflit avec le Pouvoir, mais, si sa conscience lui commande de contester la légitimité de ses entreprises, il ne peut éprouver d'hésitation. A ce propos une décision du Conseil de l'Ordre de Liège en 1936 est à retenir parce qu'elle a remarquablement fixé le droit et le devoir de la défense : "L'avocat jouit comme tout citoyen du droit de contrôle et, si sa conscience lui en fait un devoir, de censurer les actes des pouvoirs publics. Notamment, si l'un ou l'autre agent de l'autorité lui paraît avoir manqué aux obligations de sa charge, rien ne s'oppose à ce qu'il en saisisse l'opinion publique. Le Barreau, fier de son indépendance a, en tout temps, revendiqué à cet égard une liberté absolue d'appréciation et de critique."
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Henri LAQUAY,
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