Jacques Vergès : De mon propre aveu
J'ai déjà cité dans ce blog Albert Naud, Jacques Isorni, Jean-Marc Varaut, et d'autres ...
Voici quelques paragraphes du dernier livre de Jacques Vergès, De mon propre aveu.
Tout commentaire est superflu.
"Défendre n'est pas excuser ; défendre, fondamentalement, c'est comprendre ; remonter la chaîne des causes et des effets qui a conduit un homme, en tous points semblable à nous, à perpétrer un acte que nous avocats sommes (dans la plupart des cas) les premiers à réprouver. (...) Bien compris, notre métier consiste à éclairer le chemin tortueux qui a conduit un tel homme à commettre l'irréparable. Ce faisant, nous ne l'aidons pas seulement à déchiffrer le mystère de son geste, nous aidons aussi la société en l'incitant à prendre dans le futur les dispositions nécessaires pour que d'autres ne soient pas tentés d'en faire autant. (...)
"Quand on a défendu le maréchal Pétain, on ne défend pas les putes, écrivait une admiratrice à Jacques Isorni. Elle avait tort, les putes comme elle dit, n'en sont pas moins des être humains. C'était d'ailleurs mal connaître Me Isorni. Il aurait pu se faire une clientèle de riches collaborateurs, devenir l'avocat des grandes fortunes ; il a préféré être l'avocat d'immigrés poursuivis pour viols ou de call-girls accusées d'entôlage. Défendre nous ouvre toutes les portes, même celles qu'on aurait pu croire fermées à jamais. C'est le "Sésame, ouvre-toi" des âmes.
"Au cours de la guerre d'Algérie, les meilleurs défenseurs de l'OAS et les meilleurs défenseurs du FLN se témoignaient réciproquement leur estime. Comment oublier les gestes de solidarité que Me Isorni et Me Tixier-Vignancour me témoignèrent quand j'étais l'objet de poursuites devant les tribunaux militaires ! Mais l'opinion ne comprend pas ces amitiés par-dessus les partis ; le lynchage lui est pour ainsi dire une réaction naturelle. Sa soif de vengeance n'épargne pas les avocats, qui s'exposent aux injures, aux calomnies, aux menaces, voire à l'assassinat. Ces injures et ces menaces, nous devons en accepter le coût, car elles ont pour contrepartie un privilège sans prix, celui d'assumer l'Humanité entière dans ses misères et dans ses grandeurs. Citez-moi une profession, exceptée faite des curés, qui permette ainsi d'approcher des êtres aussi contrastés. Il m'est arrivé de défendre l'auteur d'un attentat, puis la victime dudit attentat, qui, m'ayant entendu plaider, m'a demandé de l'assister dans une procédure d'indemnisation contre l'Etat. Mieux encore : à la fin, le policier ayant procédé à l'arrestation du terroriste me sollicita pour le défendre à propos d'un différend qui l'opposait à sa hiérarchie.
"Entre toutes, la consécration pour un avocat consiste à défendre un ennemi politique : Chauveau-Lagarde, royaliste, défendant Danton ; le légitimiste Berryer défendant le maréchal Ney, le must étant assurément de défendre son ennemi personnel. La profession d'avocat prend alors tout son sens." (...)
"Un seul homme peut approcher au plus près la personnalité de l'accusé : l'avocat, s'il a la passion de défendre et de comprendre. Pour cela, il ne devra pas dédaigner les visites au parloir de la prison pour évoquer avec son client non pas seulement son dossier, mais encore et surtout sa vie, parler de tout et de rien, d'amour, de musique, de voyages, que sais-je encore ? D'où ce rapport à la fois riche et complexe, souvent mal compris, qui se noue entre l'avocat et l'accusé. (...)
"Voilà l'accusé et voici l'avocat. Tous deux auraient pu dire, comme Montaigne et La Boétie : parce que c'était lui, parce que c'était moi. Mais comment imaginer un juge d'instruction convoquant un braqueur pour lui demander : "Aimez-vous Brahms, le tabac hollandais, Marilyn Monroe ?" Tout le monde le prendrait pour un fou, alors qu'hirondelle, il annoncerait un printemps improbable de la justice.
"A vrai dire, il existe un portrait de ce juge idéal dans le roman de Dostoïevski, Crime et Châtiment ; il a pour nom Porphyre Petrovitch. On n'a pas assez rendu justice à ce personnage plus fascinant encore que l'assassin qu'il démasque et qui tire sa force de sa science des hommes, une science à la fois abyssale et aiguë, nourrie de l'expérience et de la vie de son créateur, une vie si peu conventionnelle qu'elle lui fermerait en France les portes de la magistrature. Cette vie sans pareille est celle de Dostoïevski."
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