Droit pénal : l’assistance d’un avocat dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police. Arrêt de la Cour de cassation de ce 15 décembre 2010
Dans mon article du 1er octobre dernier, j’expliquais le contenu de l’arrêt « Salduz » rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme qui précise, entre autres, ceci :
« La Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandis, Magee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation. »
Dans mes articles ultérieurs, je rappelais que les barreaux avaient d’initiative mis en place un système permettant à tout suspect d’être assisté d’un avocat lors de son interrogatoire par le juge d’instruction. Pour des raisons notamment pratiques, l’assistance du suspect par un avocat n’avait pu être mise en place dès le premier interrogatoire par les services de police (à l’exception du barreau d’Eupen).
Il n’empêche que, sur base de cette jurisprudence européenne, tout suspect ayant un avocat et étant entendu par les services de police doit pouvoir être assisté de son avocat. Le suspect peut donc contacter son avocat et demander que ce dernier soit présent lors de l’audition. Si les services de police refusent ce droit, le suspect veillera à le faire acter dans son procès-verbal d’audition.
La Belgique n’a pas mis sa législation en conformité avec cette jurisprudence et n’a pas établi le budget nécessaire servant à honorer les avocats qui assistent les suspects. Par citation signifiée ce 17 décembre, l’Ordre des barreaux francophones et germanophone de Belgique a assigné l’Etat belge, représenté par son ministre de la Justice, afin que l’Etat réforme ses règles de procédure pénale pour les mettre en conformité avec la jurisprudence européenne et accorde aux avocats le budget nécessaire à cette assistance.
D’autre part, par un arrêt de ce 15 décembre, la Cour de cassation de Belgique vient de confirmer cette jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. La Cour de cassation précise :
« Le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, implique que la personne arrêtée ou mise à la disposition de la justice bénéficie de l’assistance effective d’un avocat au cours de l’audition de police effectuée dans les vingt-quatre heures de sa privation de liberté, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.
« En tant qu’il n’autorise cet accès à l’avocat qu’après la première audition par le juge d’instruction, l’article 20, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive doit être tenu pour contraire à l’article 6 de la Convention.
« L’équité d’un procès pénal s’apprécie par rapport à l’ensemble de la procédure, en recherchant si les droits de la défense ont été respectés, en examinant si la personne poursuivie a eu la possibilité de contester l’authenticité des preuves et de s’opposer à leur utilisation, en vérifiant si les circonstances dans lesquelles les éléments à charge ont été obtenus jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude, et en évaluant l’influence de l’élément de preuve obtenu irrégulièrement sur l’issue de l’action publique.
« Il ressort des pièces de la procédure que le demandeur a contesté, devant les juges du fond, les préventions de viols et d’attentats à la pudeur mises à sa charge et dont le premier défendeur a soutenu avoir été l’objet alors que, mineur d’âge, il ne pouvait consentir légalement aux actes sexuels ainsi qualifiés.
« Pour asseoir leur conviction quant à la culpabilité du demandeur, les juges d’appel ont relevé notamment que, jusqu’à sa mise en liberté par le juge d’instruction, le suspect avait progressivement avoué les faits décrits par le plaignant avant de tout remettre en cause et de solliciter son acquittement devant la juridiction de jugement.
« L’arrêt explique ce revirement en considérant (page 12, § 20, alinéa 2) que le demandeur n’a probablement pas perçu la portée pénale des actes dont il avait admis l’existence, ignorant que la qualification de viol s’applique aussi à la pénétration par voie orale.
« Il y va donc de la déclaration d’un suspect qui, en garde à vue sans avocat, s’incrimine lui-même à défaut de posséder les connaissances juridiques qui lui auraient permis de mesurer autrement ses propos. Les aveux du demandeur et le motif de leur rétractation justifient, selon l’arrêt, qu’il ne soit pas ajouté foi à ses affirmations d’après lesquelles les accusations portées contre lui ne relèvent que de l’affabulation.
« Des déclarations auto-accusatrices faites à la police dans les vingt-quatre heures de la privation de liberté par un suspect qui, en l’absence de conseil, a pu, selon les juges d’appel, ne pas appréhender les conséquences juridiques de ses dires, ont dès lors été prises en compte par eux pour conclure à la crédibilité de la plainte et, de là, au bien-fondé de la poursuite.
« Ainsi motivée, la décision viole l’article 6 de la Convention. »
En conclusion, le suspect n’était pas assisté d’un avocat lors de son interrogatoire par les services de police et par le juge d’instruction. Lors de ces interrogatoires, le suspect a fait des aveux et s’est incriminé puis s’est rétracté devant les juridictions de jugement. La Cour d’appel relève que le suspect a pu ne pas appréhender les conséquences juridiques de ses aveux. Tout en faisant cette constatation, la Cour d’appel a pris en compte ses aveux pour conclure au bien-fondé de la poursuite.
Il y a violation de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
« La Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandis, Magee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation. »
Dans mes articles ultérieurs, je rappelais que les barreaux avaient d’initiative mis en place un système permettant à tout suspect d’être assisté d’un avocat lors de son interrogatoire par le juge d’instruction. Pour des raisons notamment pratiques, l’assistance du suspect par un avocat n’avait pu être mise en place dès le premier interrogatoire par les services de police (à l’exception du barreau d’Eupen).
Il n’empêche que, sur base de cette jurisprudence européenne, tout suspect ayant un avocat et étant entendu par les services de police doit pouvoir être assisté de son avocat. Le suspect peut donc contacter son avocat et demander que ce dernier soit présent lors de l’audition. Si les services de police refusent ce droit, le suspect veillera à le faire acter dans son procès-verbal d’audition.
La Belgique n’a pas mis sa législation en conformité avec cette jurisprudence et n’a pas établi le budget nécessaire servant à honorer les avocats qui assistent les suspects. Par citation signifiée ce 17 décembre, l’Ordre des barreaux francophones et germanophone de Belgique a assigné l’Etat belge, représenté par son ministre de la Justice, afin que l’Etat réforme ses règles de procédure pénale pour les mettre en conformité avec la jurisprudence européenne et accorde aux avocats le budget nécessaire à cette assistance.
D’autre part, par un arrêt de ce 15 décembre, la Cour de cassation de Belgique vient de confirmer cette jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. La Cour de cassation précise :
« Le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, implique que la personne arrêtée ou mise à la disposition de la justice bénéficie de l’assistance effective d’un avocat au cours de l’audition de police effectuée dans les vingt-quatre heures de sa privation de liberté, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.
« En tant qu’il n’autorise cet accès à l’avocat qu’après la première audition par le juge d’instruction, l’article 20, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive doit être tenu pour contraire à l’article 6 de la Convention.
« L’équité d’un procès pénal s’apprécie par rapport à l’ensemble de la procédure, en recherchant si les droits de la défense ont été respectés, en examinant si la personne poursuivie a eu la possibilité de contester l’authenticité des preuves et de s’opposer à leur utilisation, en vérifiant si les circonstances dans lesquelles les éléments à charge ont été obtenus jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude, et en évaluant l’influence de l’élément de preuve obtenu irrégulièrement sur l’issue de l’action publique.
« Il ressort des pièces de la procédure que le demandeur a contesté, devant les juges du fond, les préventions de viols et d’attentats à la pudeur mises à sa charge et dont le premier défendeur a soutenu avoir été l’objet alors que, mineur d’âge, il ne pouvait consentir légalement aux actes sexuels ainsi qualifiés.
« Pour asseoir leur conviction quant à la culpabilité du demandeur, les juges d’appel ont relevé notamment que, jusqu’à sa mise en liberté par le juge d’instruction, le suspect avait progressivement avoué les faits décrits par le plaignant avant de tout remettre en cause et de solliciter son acquittement devant la juridiction de jugement.
« L’arrêt explique ce revirement en considérant (page 12, § 20, alinéa 2) que le demandeur n’a probablement pas perçu la portée pénale des actes dont il avait admis l’existence, ignorant que la qualification de viol s’applique aussi à la pénétration par voie orale.
« Il y va donc de la déclaration d’un suspect qui, en garde à vue sans avocat, s’incrimine lui-même à défaut de posséder les connaissances juridiques qui lui auraient permis de mesurer autrement ses propos. Les aveux du demandeur et le motif de leur rétractation justifient, selon l’arrêt, qu’il ne soit pas ajouté foi à ses affirmations d’après lesquelles les accusations portées contre lui ne relèvent que de l’affabulation.
« Des déclarations auto-accusatrices faites à la police dans les vingt-quatre heures de la privation de liberté par un suspect qui, en l’absence de conseil, a pu, selon les juges d’appel, ne pas appréhender les conséquences juridiques de ses dires, ont dès lors été prises en compte par eux pour conclure à la crédibilité de la plainte et, de là, au bien-fondé de la poursuite.
« Ainsi motivée, la décision viole l’article 6 de la Convention. »
En conclusion, le suspect n’était pas assisté d’un avocat lors de son interrogatoire par les services de police et par le juge d’instruction. Lors de ces interrogatoires, le suspect a fait des aveux et s’est incriminé puis s’est rétracté devant les juridictions de jugement. La Cour d’appel relève que le suspect a pu ne pas appréhender les conséquences juridiques de ses aveux. Tout en faisant cette constatation, la Cour d’appel a pris en compte ses aveux pour conclure au bien-fondé de la poursuite.
Il y a violation de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
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Henri Laquay,
Avocat au barreau de Bruxelles.
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