La Cour européenne des Droits de l'Homme et le port du voile à l'école (arrêts Kervanci et Dogru contre France)

Hier, la Cour européenne des Droits de l'Homme a rendu deux arrêts relatifs au port du voile à l'école.

Malgré les demandes répétées de leur professeur et les explications de celui-ci concernant l’incompatibilité du port d’un tel foulard avec la pratique de l’éducation physique, deux élèves (âgées de 11 et 12 ans au moment des faits) refusaient de retirer leur foulard durant les cours d’éducation physique et sportive. Elles avaient dès lors été exclues de leur établissement scolaire.

En février 1999, le conseil de discipline du collège prononça l’exclusion définitive des élèves pour non-respect de l’obligation d’assiduité, en raison de l’absence de participation active des intéressées à leurs séances d’éducation physique et sportive.

En mars 1999, le recteur de l’académie de Caen confirma cette décision, après avoir recueilli l’avis de la commission académique d’appel. Celle-ci justifia la mesure d’interdiction de porter le foulard en cours d’éducation physique par le respect des règles internes des établissements scolaires telles les règles de sécurité, d’hygiène et d’assiduité.

Le 5 octobre 1999, le tribunal administratif de Caen rejeta les demandes introduites par les parents des élèves tendant à l’annulation de l’arrêté du recteur d’académie. Le tribunal considéra que les élèves, en se présentant aux cours d’éducation physique et sportive dans une tenue ne permettant pas leur participation à l’enseignement concerné, avaient manqué à l’obligation d’assiduité. Leur attitude avait entraîné un climat de tension au sein de l’établissement et l’ensemble de ces circonstances était de nature à justifier légalement leur exclusion définitive du collège, nonobstant leur proposition faite à la fin du mois de janvier, de remplacer le foulard par un bonnet.

La cour administrative d’appel de Nantes confirma ces jugements, relevant que les élèves avaient excédé les limites du droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur de l’établissement. A la suite de leur exclusion, ces étudiantes suivirent des cours par correspondance afin de poursuivre leur scolarité.

La Cour européenne des Droits de l'Homme rappelle sa jurisprudence antérieure sur laquelle elle fondera sa décision au cas d'espèce, notamment que :

- Dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de religion de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun.

- L’Etat peut limiter la liberté de manifester une religion. Ainsi, l’obligation faite à un motocycliste, sikh pratiquant portant le turban, de porter un casque est une mesure de sécurité. Les contrôles de sécurité imposés aux aéroports ou à l’entrée des consulats et consistant à faire retirer un turban ou un voile afin de se soumettre à de tels contrôles ne constituent pas des atteintes disproportionnées dans l’exercice du droit à la liberté religieuse. Ne constitue pas non plus une ingérence disproportionnée le fait de réglementer la tenue vestimentaire des étudiants ainsi que celui de leur refuser les services de l’administration, tels la délivrance d’un diplôme, aussi longtemps qu’ils ne se conforment pas à ce règlement (en l’espèce apparaître tête nue sur une photo d’identité pour une étudiante portant le foulard islamique).

- L’interdiction faite à une enseignante d’une classe de jeunes enfants de porter le foulard dans le cadre de son activité était « nécessaire dans une société démocratique », compte tenu, notamment, du fait que la laïcité, qui suppose la neutralité confessionnelle de l’enseignement, est un principe contenu dans la Constitution du canton de Genève. La Cour avait mis l’accent sur le « signe extérieur fort » que représente le port du foulard et s’était également interrogée sur l’effet prosélytique qu’il peut avoir dès lors qu’il semblait être imposé aux femmes par un précepte religieux difficilement conciliable avec le principe d’égalité des sexes.

- Le principe de laïcité était primordial dans certains Etats, voire considéré comme l'un des principes fondateurs de certaines républiques.

- Il incombait aux autorités nationales, dans le cadre de la marge d’appréciation dont elles jouissent, de veiller avec une grande vigilance à ce que, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, la manifestation par les élèves de leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires ne se transforme pas en un acte ostentatoire, qui constituerait une source de pression et d’exclusion

La Cour décide donc :

"Appliquant l’ensemble de ces principes et la jurisprudence pertinente à la présente affaire, la Cour considère que les autorités internes ont justifié la mesure d’interdiction de porter le foulard en cours d’éducation physique par le respect des règles internes des établissements scolaires telles les règles de sécurité, d’hygiène et d’assiduité, qui s’appliquent à tous les élèves sans distinctions. Les juridictions ont par ailleurs relevé que l’intéressée, en refusant de retirer son foulard, avait excédé les limites du droit d’exprimer et de manifester ses croyances religieuses à l’intérieur de l’établissement."

"En l’espèce, la Cour estime que la conclusion des autorités nationales selon laquelle le port d’un voile, tel le foulard islamique, n’est pas compatible avec la pratique du sport pour des raisons de sécurité ou d’hygiène, n’est pas déraisonnable. Elle admet que la sanction infligée n’est que la conséquence du refus par la requérante de se conformer aux règles applicables dans l’enceinte scolaire dont elle était parfaitement informée et non, comme elle le soutient, en raison de ses convictions religieuses."

La Cour conclut, à l’unanimité (ce qui est assez rare), dans les deux affaires, à la non-violation de l’article 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette décision n'est pas une surprise en ce que la Cour avait déjà rendu plusieurs arrêts en la matière. Elle confirme à juste titre ces décisions antérieures : l'interdiction du port du voile dans certaines circonstances n'est pas contraire aux droits et libertés garantis par la Convention.
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Pour prendre connaissance de l'arrêt dans son intégralité, cliquez ici.
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A lire également, mon article sur la dernière jurisprudence belge relative au licenciement pour motif grave d'une personne qui portait le voile.
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A lire encore, la jurisprudence constante de la Cour européenne des Droits de l'Homme relative à la liberté d'expression.
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Henri Laquay,
Avocat.

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