Les défendre tous ? Oui, assurément !

Voici ce qu’écrivait Me Albert NAUD, l’un des meilleurs avocats français du XXe siècle.

« Je suis avocat. Un métier formidable, je veux dire terrifiant, avec des problèmes, des tortures, la mort qui rôde, des remords. Savez-vous que je serre la main de l’assassin ? Mais si vous saviez comme ils sont petits et faibles, en face de l’énorme machine judiciaire, dressée pour les broyer ! Et puis, il y a le devoir, le service commandé en somme.

« J’ai défendu Laval, moi, résistant. Commis d’office par le Bâtonnier, je l’ai aussi aimé comme on aime son frère à l’instant de la mort. Je l’ai embrassé avant qu’il ne tombe sous les balles, comme j’aurais embrassé mon frère. C’était, sous ses allures de Gitan, un homme distingué qui est mort hautement.

« Je les ai aimés tous, vous dis-je. Choisi ou commis d’office, j’ai fait corps avec eux. Les défendre tous comme ils sont, avec leurs bassesses, leurs nostalgies à jamais stériles, leurs étincelle divines (ils en crépitent) et leurs terreurs dernières, a été et reste mon devoir.

« Ce sont eux, mes morts, exécutés ou en service judiciaire, qui m’ont précipité dans la lutte contre la peine capitale, que je mène depuis trente ans. J’ai vu trop mourir, comprenez-vous ? »

(…)

« Demain, le magistrat sera un expert, un peu théorique, l’avocat un commentateur prétentieux de bilans et de comptes d’exploitation, le bâtonnier sur son Olympe, le chef mécanicien d’une foule d’ordinateurs et le conseil de l’Ordre, un comité d’entreprise. (…)

« Je suis et je resterai un médecin de famille, un généraliste d’escalier qui soigne les petits et les grands. Je m’efforce de tout guérir, et j’aime cette variété. Limiter mon activité à plaider chaque jour la sacro-sainte priorité de droite, ou la brevetabilité d’une machine à faire sauter les crêpes, me serait insupportable. »

Albert Naud, 1904-1977.
Avocat à la Cour de Paris
Les défendre tous
Robert Laffont, 1973.

Me Jean-Marc VARAUT ajoutait :

« Défendre, c’est d’abord ne jamais refuser de défendre. L’avocat est choisi. Cet honneur est une dette qui ne se discute pas. Mettre en balance l’acceptation ou le refus serait mettre en balance les profits et les inconvénients d’une défense. Sauf dans le cas où l’acceptation mettrait l’avocat en contradiction avec une autre défense, car l’avocat n’est pas un marchand de paroles, il n’est pas libre de repousser, par prudence ou opportunité ou engagement, son concours. Aussi ma devise est : Ma parole est à qui me la demande. Albert Naud l’avait exprimé dans le titre de ses souvenirs : Les défendre tous.

« L’avocat pour répondre à cette demande, doit prendre ses distances avec ses origines, son histoire, ses habitudes de penser et de sentir pour être au plus près de celui qui lui a confié sa défense. Et, pour cela, rompre avec le cercle stérile que le soi forme avec soi-même pour s’ouvrir à l’altérité. »

Jean-Marc Varaut, 1933-2005
Avocat à la Cour de Paris
Un avocat pour l’Histoire, Mémoires interrompus, 1933-2005.
Flammarion.


Henri LAQUAY,
Avocat au barreau de Bruxelles.
Spécialiste en Droit pénal.
henrilaquay.com

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