Droit judiciaire : Le projet de loi visant à lutter contre l'arriéré judiciaire

Un emplâtre sur une jambe de bois.

Le projet de loi "visant à lutter contre l'arriéré judiciaire", présenté par la ministre de la Justice, a été approuvé ce lundi 12 février en commission de Justice de la Chambre et sera voté avant la fin de la législature. L'arriéré judiciaire est un fléau au sein des tribunaux des grandes villes. Entre l'introduction de la demande (la première audience) et le jugement, deux, trois ans s'écoulent, parfois plus. Le délai est le même en appel. Le justiciable peut attendre cinq, six ou sept ans entre la première audience en première instance et la décision d'appel. Les causes de cet arriéré sont connues des professionnels : la judiciarisation constante, le manque de personnel, le manque de moyens.

La judiciarisation

Le législateur fait preuve d'une frénésie législative en tous domaines, y compris les plus ridicules. Tout doit être réglé, ordonné, minuté, comme il le veut. Ces lois créent des droits et des obligations. Autant de raisons pour le citoyen de faire appliquer son droit ou de contester le droit d'un autre devant les tribunaux. Ces lois sont de plus en plus complexes et parfois imprécises ou mal rédigées. Les conclusions (arguments écrits) des parties sont donc de plus en plus longues. Les magistrats, qui doivent répondre à chaque argument, sont débordés par la masse d'écrits.
Le justiciable a en outre tendance à privilégier les recours en justice plutôt que la médiation.
La judiciarisation crée une augmentation incontrôlable du nombre d'affaires soumis à la justice.

Le manque de personnel et le manque de moyens

Si le nombre d'affaires soumis à la justice ne cesse d'augmenter, le personnel n'augmente pas comme il le devrait. Les places vacantes au sein du tribunal de première instance de Bruxelles se chiffre en dizaine. Pour réduire l'arriéré judiciaire, il faut, entre autres, impérativement nommer des magistrats et augmenter le nombre de greffiers et de membres du personnel administratif.
Le projet de loi visant à réduire l'arriéré judiciaire ne répond à aucune de ses demandes et propose des solutions qui seront inefficaces.

Quatre mesures sont prises.

1° Fixer des délais au début de la procédure et fixer la date d'audience.

La fixation des délais en début de procédure est depuis plusieurs années une pratique courante de la plupart des tribunaux. Cette pratique n'a pas réduit l'arriéré judiciaire.
Fixer une date d'audience ne réduira pas plus l'arriéré. Cette date ne sera fixée que lorsqu'il y aura du temps pour plaider. A l'audience d'introduction, les justiciables seront heureux d'apprendre qu'ils déposeront leurs conclusions un an plus tard, puis des secondes conclusions deux ans plus tard, et que leur affaire sera examinée par un juge trois ans plus tard.

2° Privilégier le rôle actif du juge.

Avant l'audience, les parties au procès devront communiquer au juge leurs dossiers. Le juge examinera les conclusions et les pièces avant l'audience. Connaissant le dossier au jour de l'audience, il pourra poser des questions et interroger les parties à l'audience. "On évite que la juge ne soit obligé de reconvoquer les parties à une nouvelle audience pour fournir des explications complémentaires", dit le communiqué de presse du gouvernement.
D'une part, déposer les dossiers avant l'audience est devenu une pratique devant certains tribunaux. Cette pratique n'a pas réduit l'arriéré judiciaire.
Il arrive fréquemment que les magistrats posent des questions à l'audience ou demandent que de nouvelles pièces soient déposées. Les avocats peuvent ne pas connaître précisément la réponse aux questions. L'avocat doit faire preuve de prudence puisque sa réponse engage son client et conditionne le résultat du jugement. Il devra donc consulter son client pour pouvoir répondre précisément, client qui n'est généralement pas présent à l'audience de plaidoiries. Pour déposer de nouvelles pièces, il devra les demander à son client. En conséquence, l'affaire fera l'objet d'une remise.
Obliger les magistrats à examiner les conclusions et les pièces avant l'audience est une bonne initiative mais ne réduira pas l'arriéré judiciaire.

3° Sanctionner les abus de procédure

La partie qui de manière manifeste et délibérée a utilisé la procédure - dans le seul but de faire traîner le procès, ou bien - en sachant qu'il n'avait aucune chance, dans le but de nuire à l'autre partie sera condamnée à payer une amende allant de 15 à 2.500 euros. Cette deuxième hypothèse fait depuis de nombreuses années l'objet de condamnations par les tribunaux pour "procédure téméraire et vexatoire". La première hypothèse (faire traîner le procès) est imprécise et sa sanction, qui ne concerne qu'une partie infime des affaires traitées, ne réduira pas l'arriéré judiciaire.

4° Garantir au justiciable que le jugement sera rendu dans les délais prévus.

La décision doit être rendue dans le mois de l'audience de plaidoiries. Le projet prévoit que, si la décision n'est pas rendue dans les trois mois, le chef de corps doit convoquer le juge concerné. Le chef de corps peut soit prendre les mesures utiles pour venir en aide à un magistrat temporairement surchargé soit entamer une procédure disciplinaire. On doute fort que cette procédure disciplinaire, qui doit rester l'exception, réduise l'arriéré judiciaire.

Ce projet de loi n'est donc qu'un emplâtre sur une jambe de bois.

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